La vie de Conlon Nancarrow, citoyen mexicain d’origine états-unienne, semble tout droit sortie de l’imagination d’un romancier en manque de héros insolites. Né en 1912 dans l’Arkansas, c’est en entendant Le Sacre du printemps de Stravinski qu’il décide de devenir compositeur et d’étudier avec des figures aussi diverses que Roger Sessions, Walter Piston ou Nicolas Slonimsky. Rompant avec une carrière de trompettiste de jazz et déjà membre du Parti communiste, il part faire la guerre en Espagne contre Franco. De cette époque datent ses premières compositions instrumentales, encore fortement influencées par le jazz et la modernité européenne d’alors. Dès 1940, il prend la nationalité mexicaine et s’installe à Mexico. Sept ans plus tard, il a la bonne idée d’aller à New York pour acheter un piano mécanique. C’est pour cet instrument inattendu qu’il écrira la majeure partie de son œuvre, composant ses fameuses Études, et réalisant patiemment les rouleaux perforés destinés à animer le piano mécanique. Commence alors un long, patient et opiniâtre travail solitaire qui attirera enfin l’attention de John Cage, puis de Merce Cunningham, qui empruntera alors la musique de Nancarrow pour l’une de ses chorégraphies et permettra, en 1964, de la faire entendre pour la première fois en situation de concert. La célébrité de Conlon Nancarrow se dessine au milieu des années 70, lorsque ses études font l’objet de publications discographiques. Son influence, explicite ou non, se fera sentir chez des compositeurs aussi divers que Gérard Grisey, György Ligeti ou Frank Zappa. Musique du processus et de la perfection géométrique, l’art de Nancarrow échappe par nature aux conventions du discours et de la forme. Il décède à Mexico le 10 août 1997.
Brice Pauset — www.contrechamps.ch